15 septembre 2016

Identité et développement du leadershippar Gisèle Aubin, PCC

Nombreux écrits en matière de leadership s’entendent pour dire que l’acquisition des connaissances et compétence associées à un leadership performant se fait par le biais de l’apprentissage pratique et de l’observation. Il est également reconnu que de convertir le  savoir en comportement demeure un des grands enjeux du développement du leadership[1].  Ainsi, la capacité à accéder au savoir disponible est souvent synonyme de performance.[2]

Mais le savoir, pour pouvoir le convertir, encore faut-il pouvoir y accéder. Comment faire?

Robert G. Lord et Rosalie J. Hall[3], des chercheurs de l’Université de Akron en Ohio, ont conduit une recherche sur le développement du leadership à la suite de laquelle ils énoncent que le développement d’un leadership performant évolue par paliers, notamment d’un niveau de novice, à intermédiaire et finalement d’expert.

À date rien d’étonnant. 

Toutefois rapportent-ils, au-delà des compétences et connaissances acquises, l’évolution passe aussi par le développement personnel et social de l’individu. Sa capacité à passer d’un palier de performance à l’autre est reliée entre autres, à l’image qu’il a de lui-même. Toujours selon eux, ce développement s’effectue à un rythme et une profondeur variables selon l’individu et le contexte. Un élément d’importance pour bien comprendre ce processus est la reconnaissance que les connaissances et expérience ne sont pas acquises ou utilisées de manière linéaire ou stable.  Elles sont variables mais cumulatives.  Ainsi pensent-ils, un individu grandit personnellement en parallèle avec son développement professionnel et le tout dépend largement du contexte individuel, de la situation dans laquelle le leader se trouve et de sa capacité à bien percevoir son environnement et saisir le savoir disponible. Ce faisant, il sera en mesure d’exercer son leadership avec succès. 

Ainsi il en va du savoir.  Mais que dire de la performance?

Selon une étude conduite conjointement par le Kenan-Flagler Business School de l’Université de la Caroline du Nord et le Human Capital Insitute (HCI),  85% des chefs d’entreprises évaluent le développement de la relève comme étant inadéquat et croient que seulement 40% de leurs leaders à haut potentiel sont prêts à passer au prochain niveau et ce, malgré des budgets substantiels investis en formation.  Toujours selon cette même étude, le rythme auquel les leaders potentiels évoluent et la qualité et durabilité du développement de ceux-ci ne rencontrent pas les attentes.

Clairement, un élément nous échappe.

Madame Herminia Ibarra, Économiste et Professeure à INSEAD (Institut Européen d’Administration des Affaires) a écrit de nombreux livres et articles sur le sujet et défend la notion que le développement professionnel doit tenir compte du processus de développement de l’identité de l’individu[4], plus précisément lui permettre d’expérimenter une identité « transitionnelle ». Elle soutient qu’afin d’atteindre de nouveaux niveaux de développement, un individu a besoin de pouvoir évoluer dans un environnement temporaire, voir transitionnel, afin de s’assurer de la cohérence de celui-ci par rapport à  son identité.

L’identité, on le sait, est la somme de nombreux facteurs et expériences, bâtie à partir de la perception que les autres ont de soi et des messages communiqués.  Elle est façonnée au cours des ans.  Cet ensemble de données amène donc l’individu à construire ses croyances, ses valeurs, motivations, etc., lesquelles s’ajoutent au vécu pour en faire un schème de référence auquel il fait  appel pour valider qui il est et ce qu’il fait. 

Pas simple cette identité.  

Est-il possible de la cerner et de l’identifier une fois pour toutes, s’assurant ainsi de bien en tenir compte?

Il semblerait que non, et c’est heureux ainsi.  Selon une recherche conduite par Markus and Nurius, un des moteurs du développement de l’identité est la projection dans le futur qu’un individu a de lui-même.[5]  Dans un environnement propice, celle-ci sert de tremplin et constitue une motivation suffisante pour s’engager dans un processus de transition dont l’espoir est d’atteindre un rôle plus grand, plus satisfaisant, plus compatible à ses ambitions, etc., et c’est dans cette transition que l’identité évolue et forcément change. 

Comment alors rendre ce milieu propice et permettre le passage d’un niveau à l’autre?

Nuls doutes que les formations traditionnelles et appliquées appuient l’individu dans sa transition,  toutefois, afin que ce changement soit durable et transférable (que les autres endossent la nouvelle personne que l’individu est devenu) une transition identitaire doit aussi avoir lieu.

C’est ainsi que madame Ibarra parle d’identité transitionnelle.

Dans cette transition, le leader oscille entre ce qu’il était, ce qui lui est familier, en d’autres mots ; sa zone de confort,  et ce qu’il se sent interpellé à devenir. Il se retrouve donc dans une zone expérimentale ou plus souvent qu’autrement, l’inconfort et le doute règnent.  Le sentiment ressenti est très communément celui d’une perte d’identité et ce sentiment perdure, à plus ou moins haut niveau, tant que la période de transition est en cours.  Une fois celle-ci complétée, il se retrouve donc avec une identité modifiée. 

En théorie, le principe est simple.

En pratique, il requiert un contexte propice ou l’individu se sent appuyé afin de maintenir le courage requis pour demeurer dans cette zone d’inconfort, et également est encouragé par le progrès qu’il sera en mesure de constater. Ses propres constats ainsi que la rétroactivité de son entourage sont des moteurs d’avancement.

En coaching, le rôle du coach se situe souvent à cette croisée ou,  aider l’individu à aller au-delà de cet inconfort et de ce doute lui permet de réaliser son plein potentiel en élargissant les frontières de ses connaissances et expérience.  Surtout, cet élargissement lui causera de déplacer ses ancrages.

Chaque ancrage déplacé est un peu comme le piolet de l’alpiniste qui une fois le niveau atteint reconnaît que la distance à parcourir est maintenant conquise.  Aucun alpiniste ne participe à l’ascension d’une montagne dans la certitude de sa progression.  Toutefois tous ont besoin de se sentir motivé et relativement protégé. Le piolet sert d’ancrage. Sans lui il n’oserait avancer. Toutefois, une fois l’ascension complétée, il retire celui-ci de la paroi de la montagne avec suffisamment d’enthousiasme et de confiance pour le repositionner un peu plus haut.

Il en est ainsi de l’identité. Dans la mesure où l’individu lui-même est engagé dans l’ascension de son propre développement par le biais de l’exercice de nouvelles fonctions, l’exploration de nouveaux comportements, l’expérimentation de nouvelles émotions, le tout supporté par la rétroactivité positive de son milieu, il sera en mesure de s’approprier ces nouvelles dimensions ou de les abandonner selon qu’elles lui servent ou non.[6]

Il aura alors adapté des aspects de son identité afin de pouvoir rencontrer les exigences de son rôle, et, parallèlement, possiblement adapté le rôle afin d’assurer une cohérence nécessaire avec les bases de son identité. 

Invariablement, le résultat en est un de profonde transformation au niveau de ses croyances, son expérience et ses valeurs.

Pour que le changement prenne place il doit être soutenu par les valeurs de l’individu.  Ainsi, les programmes de développement du leadership qui tiennent exclusivement compte des acquisitions de connaissances et compétences sans pour autant se soucier de l’aspect identitaire et profondément individuel de chacun ne sauraient atteindre les résultats escomptés.

Identité et leadership : Des notions à intégrer si ce n’est déjà fait.

 

[1] Pfeffer, J., Sutton, R.I., (1999). The knowing-doing gap: How smart companies turn knowledge into action.

[2] VanLehn, K., (1989). Problem solving and cognitive skill acquisition. Foundations of cognitive science (pp 527-579). MIT Press.

[3] Lord R.G., Hall, R.J., (2004). Identity, deep structure and the development of leadership skill.

[4] Ibarra, H., Snook, S., Guillen Ramo, G., (2014). Identity-Based Leader Development. HB Press.  

[5] Markus, H., Nurius, P. (1986). Possible selves. American Psychologist.41,954-969

[6] Ibarra, H. (1999). Provisional selves: Experimenting with image and identity in professional adaptation. Administrative Science Quarterly.  4, 764-791.

Gisèle Aubin, PCC ACC, CRHA