15 septembre 2014

La fin du leadership tel qu’on l’a connu jusqu’à maintenantpar Yvon Chouinard, ACC

La fin du leadership tel qu’on l’a connu jusqu’à maintenant

L’industrie du développement du leadership – 50 milliards (USD) aux États-Unis seulement - ne cesse de subir une pluie de critiques défavorables depuis quelques années. Aussi récemment que 2013, un sondage effectué par Brandon Hall Group, révélait que 75% des organisations sondées estimaient que leur programme de développement du leadership n’était pas efficace1. Un résultat similaire à ce que d’autres études antérieures avaient obtenu.

Une des dernières critiques connues provient de la professeure Barbara Kellerman du Harvard Kennedy School, auteure d’un ouvrage récent intitulé « La fin du leadership »2.  Il est d’ailleurs possible d’écouter son point de vue dans une entrevue  produite par l’école3.

Kellerman affirme que le leadership est  «…une industrie [….] qui a débuté aux États-Unis, mais qui a depuis été exportée un peu partout. L'enseignement du leadership fait croire aux gens qu'il n'y a pas de vertu dans l'idée de suivre la direction que quelqu'un d'autre donne. Nous n'enseignons pas les vertus de la collaboration, d'être un bon acolyte. Nous enseignons que pour réussir, il faut être un leader», affirme-t-elle.

Tout le monde ne peut pas être un leader contrairement à ce que certaines têtes d’affiche de l’industrie du leadership affirment.

Kellerman n’est pas la première théoricienne à parler de l’importance des gens qui suivent les leaders (le « followership »). Avant elle, il y avait eu Robert Kelley4, Ira Chaleff5, et Abraham Zaleznik6, et plus près de nous, Laurent Lapierre7, de HEC Montréal. (On utilise le mot « followership » pour décrire cette notion de ceux qui suivent un leader dans l’attente d’une traduction acceptable en français.)

Aborder le développement du leadership autrement

Tous les grands mouvements actuels de nos sociétés indiquent que l’ère du leader héroïque que les gens suivent aveuglément est en voie de disparation. D’autre part, il apparaît que les grands programmes organisationnels de développement du leadership, où les gestionnaires en devenir passent par le même moule de développement du  leadership, entraînent le désenchantement de ceux et celles qu’ils doivent diriger («les fidèles ou suiveurs »).

Cette constatation avait été documentée dès 2003 par Jay Conger et Douglas Ready qui donnaient trois raisons principales de cette inefficacité des programmes de développement du leadership8 :

1. Un trop grand contrôle organisationnel sur le développement des individus au lieu que l’individu exerce lui-même contrôle son propre développement;

2. L’utilisation de moyens de développement qui sont peu pertinents par rapport aux  problèmes vécus par les gestionnaires;

 3. L’utilisation d’indicateurs qui ont peu de sens pour évaluer l’impact des programmes de développement du leadership.

Afin d’améliorer l’efficacité des programmes de développement du leadership, ces deux chercheurs recommandaient deux choses en particulier :

  1. Que la responsabilité des résultats du développement individuel soit partagée entre l’individu et l’organisation;
  2. Que les habiletés de leadership à développer soient alignées avec les buts et besoins stratégiques de l’organisation.

Le coaching : une responsabilité partagée de développement individuel

Si les programmes de développement de leadership, tout particulièrement la formation, ne sont pas efficaces pour développer le leadership, est-ce que le coaching peut prétendre générer des résultats différents?

Pour répondre à cette question, signalons que la pratique du coaching de gestion (ou de leadership) navigue justement dans les deux zones d’amélioration suggérées par Conger et Ready. En effet, (a) l’organisation qui commandite le coaching de ses cadres leur demande effectivement de devenir responsables de leur développement en participant activement au programme de coaching. Et d’autre part, (b) les mandats de coaching sont généralement accordés sur la base que les objectifs de coaching soient alignés avec les besoins de l’organisation par rapport au rôle qu’occupe la personne.

Une recherche sur l’efficacité du coaching comme outil de développement du leadership

Il est donc pertinent d’examiner les résultats d’une recherche publiée au début de 2014 dans The Leadership Quarterly et réalisée par Gro Ladegard et Susann Gjerde, deux chercheures norvégiennes qui ont entrepris d’évaluer le coaching de leadership comme un outil de développement du leadership9.

Une combinaison d’une étude avec un groupe de discussion et une revue de la théorie a débouché sur la formulation d’hypothèses à l’effet que le coaching conduit à une augmentation du sentiment d’efficacité personnelle dans le rôle de leader et deuxièmement, ainsi qu’à une augmentation du niveau de confiance envers les subordonnés. Ils ont aussi voulu examiner comment le comportement facilitateur du coach peut influencer les résultats des deux variables précédentes.

Des définitions

Dans le cadre de leur recherche, les auteures ont pris le temps de bien définir quelques termes. Par exemple, le terme « coaching de leadership » qu’ils adoptent, au lieu de « coaching exécutif » qui selon elles a une portée plus large,  a été défini comme le coaching de cadres supérieurs, de leaders et de gestionnaires dans une relation formelle personnelle centrée sur des sujets reliés au travail avec l’objectif d’améliorer leur efficacité comme leader.

Le sentiment d’efficacité personnelle (auto-efficacité) dans le rôle de leader (« Leader role-efficacy ») fait référence à la confiance d’un individu par rapport à ses habiletés de mobiliser ses propres ressources cognitives motivationnelles et celles de poser  les actions adéquates pour exécuter une tâche spécifique dans un contexte donné. Cette notion d’auto-efficacité a d’ailleurs déjà été examinée au Québec par Louis Baron et Lucie Morin10.

La méthodologie

Les chercheures ont constitué de façon aléatoire, un groupe de 30 participants composé de cadres supérieurs et de cadres intermédiaires. Afin de pouvoir comparer les résultats des participants qui recevraient du coaching avec d’autres qui n’en bénéficieraient pas, les chercheures ont aussi formé un groupe de contrôle dont les caractéristiques étaient similaires à celles des participants.

Il y avait un nombre également partagé d’hommes et de femmes dans les groupes. Les sujets étaient majoritairement situés dans la tranche d’âge entre 40 et 49 ans, et supervisaient entre 6 et 30 subordonnés. La taille moyenne des organisations représentées était de 500 employés, dont 66% du secteur public, 20% du secteur privé et 14% d’autres secteurs.

Sept (7) coachs certifiés par ICF ont accompagné les participants dans le cadre d’un programme de coaching comprenant 8 sessions dont la durée variait entre 60 et 90 minutes.

Résultats de la recherche

Les conclusions de la recherche qui combine les résultats du groupe de discussion (« focus group ») et de la quasi-expérience (« sessions de coaching »),  a démontré que le comportement facilitateur du coach (fournir du soutien, de la rétroaction et des mises en question) a joué un rôle important dans le processus de développement du leadership des participants, comparé à ceux qui faisaient partie du groupe de contrôle.

D’autre part, la recherche a démontré que le coaching individuel a eu un impact significativement positif sur le sentiment d’auto-efficacité des gestionnaires dans leur rôle de leader, en plus de contribuer à l’augmentation de leur niveau de confiance en leurs subordonnés.

Implications pour les coachs et les organisations

Les auteures de cette recherche pensent que leurs constatations sont très pertinentes pour des fins d’applications pratiques. Par exemple, ils estiment que les organisations devraient davantage centrer leurs efforts de développement du leadership sur les processus intérieurs des individus, dont le sentiment d’auto-efficacité dans le rôle de leader. L’’étude démontre que le coaching peut y contribuer de manière significative.

Les conclusions de la recherche permettent aussi de savoir que le coaching peut augmenter la propension des gestionnaires à faire confiance à leurs subordonnés afin qu’ils agissent de manière responsable et dans les meilleurs intérêts de l’organisation.

Cependant, les auteures rapportent que le changement du niveau de confiance qui se manifeste dans les comportements du leader n’est pas nécessairement perçu de manière consciente par les subordonnés.  Mais, selon elles, il y a certainement une intégration inconsciente du facteur de confiance, car le niveau d’intention de départ (« turnover intention ») des subordonnés  semble décroître en rapport direct avec l’augmentation du niveau de confiance accordé par le leader.

Cette recherche nous présente donc un phénomène important dans la vie des organisations, soit la combinaison de l’acte de leadership où les subordonnés (« les suiveurs ») sont assez confortables avec leurs leaders pour leur laisser avoir de l’influence et le contrôle sur les choses qui sont importantes pour eux, et la démarche consciente selon laquelle les leaders sont prêts à laisser aller une partie de leur contrôle sur la création des résultats en faisant confiance à leurs subordonnés.

Le coaching de leadership pourrait donc faciliter le mariage des styles de leadership avec les styles de « followership », ce qui semble devenir un fondement important de la gestion efficace des organisations dans notre monde actuel.

  1. Loew, L., Wentworth, D. (2013).  Leadership: The State of Development Programs, Research-Based Industry Perspective, Brandon Hall Group
  2. Kellerman, B. (2012) The End of Leadership. New York: HarperCollins Publishers
  3. Barbara Kellerman on "The End of Leadership" Harvard Kennedy School. https://www.youtube.com/watch?v=nIo5_eJs5-Y
  4. Kelley, R. E. (1992) The Power of Followership. New York: Doubleday Business.
  5. Chaleff,  I. (2009) The Courageous Follower: Standing Up to and for Our Leaders. San Francisco: Berrett Khoeler Publishers
  6. Zaleznik, A. The Dynamics of Subordinacy. Harvard Business Review, 1965
  7. Kisfalvi, V. & Lapierre L. Subordination et insubordination. Gestion, Vol. 22 No 2, 1997, 77-80
  8. Ready, D. A. & Conger, J.A. (2003) Why Leadership Development Efforts Fail. Center for Effective Organizations. Marshall School of Business. University of Southern California.  Publication. G 03-16 Spring 2003. (444) http://ceo.usc.edu/pdf/G0316444.pdf
  9. Ladegard, G. & Gjerde, S. Leadership coaching, leader role-efficacy, and trust in subordinates. A mixed methods survey assessing leadership coaching as a leadership development tool. The Leadership Quarterly, 25 (2014) 631-646.
Baron, L. & Morin, L. (2010). The impact of executive coaching on self-efficacy related to management soft-skills. Leadership & Organization Development Journal, 31(1), 18-38. Winner of the Highly Commended Award - Emerald Literati Network Awards for Excellence 2011.
Yvon Chouinard, ACC ACC, CRHA