15 juin 2016

Le coach libéré : une réflexion sur le coaching éclectiquepar Yvon Chouinard, ACC

Pour ma dernière contribution à cette chronique, que j’ai maintenant tenue depuis trois ans, j’aimerais vous parler d’une réflexion que je trouve absolument pertinente et profonde qui nous vient de David Clutterbuck, un expert mondial du coaching et du mentorat. Même si son article publié dans Coaching : An International Journal of Theory, Research and Practice remonte à 2010, j’ai la conviction que tous les coachs peuvent s’en inspirer afin d’enrichir leur pratique réflexive. Mon objectif est de vous en donner les éléments clés et parfois libérateurs. En effet, j’ai le sentiment qu’un coach libéré est un coach accompli qui est davantage en mesure d’accompagner ses clients efficacement.

Les dangers d’un seul modèle de coaching

Dans le cadre de ses recherches sur le coaching il y a une dizaine d’années, Clutterbuck1 a découvert que la grande majorité des coachs avaient recours à un éventail très limité de modèles et de techniques de coaching. D’autre part, plusieurs coachs basaient leur pratique sur des modèles de conversations de coaching relativement simples, comme le modèle GROW et ses dérivés. Les dangers observés par Clutterbuck de l’emploi d’un seul modèle de coaching sont que le coaching a tendance à devenir mécanique et que des indices importants par rapport au contexte du client sont ignorés ou manqués, le coach étant alors davantage axé sur son propre agenda que sur celui du client. Comme on le dit parfois dans le monde de l’enseignement, n’avoir qu’une seule réponse c’est comme n’avoir aucune réponse.

Il avait particulièrement observé ce phénomène au début de la relation de coaching alors que l’établissement des objectifs semblait parfois être une béquille pour le coach plutôt qu’un bénéfice pour la personne coachée. Une bonne partie de la formation des coachs est d’ailleurs orientée vers cet élément considéré comme fondamental, surtout pour développer les compétences 8, 9 et 10 promues par l’ICF2 et qui sont en résumé :

  • Élargir la conscience du client - Savoir intégrer et évaluer avec précision les sources multiples d'information et présenter des suggestions qui sensibilisent plus facilement le client et l'aident, par conséquent, à atteindre les objectifs fixés.
  • Concevoir des actions - Savoir co-créer avec le client des occasions d'apprentissage continu pendant les entretiens de coaching et les situations quotidiennes, afin d'entreprendre de nouvelles actions qui généreront le plus efficacement possible les résultats souhaités.
  • Planifier et établir des objectifs - Savoir développer et gérer un plan de coaching efficace avec le client.

Dans ses discussions ultérieures avec des coachs, Clutterbuck a réalisé que ceux-ci étaient heureux d’être libérés de la tyrannie des buts trop spécifiques à fixer avec le client. D’ailleurs, dans bien des cas poursuit-il, la définition d’un but clair peut simplement être le résultat du coaching, et à ce point le client n’a plus besoin de coaching, sachant alors ce qu’il doit faire et comment le faire.

Des modèles, processus et disciplines à l’éclectisme géré

Que ce soit la programmation neurolinguistique (PNL),  la Gestalt, l’approche centrée sur les solutions ou le cadre théorique de la thérapie cognitivo comportementale, Clutterbuck reconnaît que toutes ces disciplines sont des manières valides d’approcher les mandats de coaching. Il existe à cet égard des preuves tangibles que, dans les circonstances appropriées, ces disciplines ou philosophies ont aidé des personnes à faire des changements majeurs dans leur vie. Les coachs qui utilisent ces approches sont souvent très enthousiastes, mais cet enthousiasme peut cacher un piège, soit la présomption que c’est toujours la meilleure approche pour chaque client.

De ses observations de coachs en action, Clutterbuck a conclu que les coachs les plus confiants et ceux qui ont le plus d’impact sont ceux qui appliquent un modèle, un processus ou une discipline de manière libératrice autant pour eux que pour le client. En eux, il a vu la manifestation d’une approche intégrée qu’il appelle l’éclectisme géré. Elle constitue une habileté intelligente et sensible permettant de choisir une approche plus ouverte et peu contraignante, et à l’intérieur de cette approche, des outils et des techniques qui répondent aux besoins particuliers d’un client particulier à un moment particulier. Il faut toutefois éviter de confondre l’éclectisme géré avec un simple assemblage de techniques et d’idées qu’on utilise sans vraiment les comprendre, comme nous le verrons plus loin.

Au cœur du concept du coaching éclectique géré, on retrouve les éléments suivants :

  • les conversations initiales fournissent des indices pour déterminer quelle approche ou quels cadres théoriques ou empiriques pourraient être les plus appropriés pour le client, et
  • chaque conversation est une expérience autant pour le coach que pour le client.

De cette évolution graduelle des modèles, processus ou cadres au coaching éclectique géré, peut découler une mesure de la relative maturité du coach. En effet, la capacité de passer au coaching éclectique exige une bonne expérience de la pratique du coach et une étude sérieuse de multiples approches, théories ou processus de coaching.

Un pas de plus vers la libération

Les coachs professionnels ne peuvent pas être des bricoleurs qui plantent des clous avec un tournevis et fixent des vis avec un marteau. C’est malheureusement ce que Clutterbuck a observé dans ses recherches : des coachs qui maîtrisent mal des techniques apprises, car ils ne les ont pas bien intégrées et comprises.

Cependant, ne pas avoir un processus de coaching cohérent peut être pire que l’application de modèles ou de processus trop rigides. Donc, il reste important que les coachs puissent baser leur pratique sur des approches et des techniques qui sont le propre de la philosophie du coaching, particulièrement au début de sa pratique.  Toutefois, au fur et à mesure qu’ils gravissent les échelons de la maturité en coaching, les coachs éclectiques – en voie de libération – devraient graduellement passer à travers les stades suivants :

  1. Ils accordent une grande importante à la compréhension d’une technique, d’un modèle ou d’un processus et connaissent et comprennent ses origines et le cadre original qui a donné lieu à la philosophie.
  2. Ils utilisent l’expérimentation et l’apprentissage réflexif pour savoir où et comment une nouvelle technique, un modèle ou un processus concorde avec leur philosophie et leur cadre de référence d’aide.
  3. Ils évaluent les nouvelles techniques, modèles et processus selon le critère : « Est-ce que cela enrichira et améliorera l’efficacité de mes réponses potentielles aux besoins du client?»
  4. Ils utilisent des pairs et des superviseurs pour remettre en question leur philosophie de coaching ainsi que comme partenaires pour expérimenter de nouvelles approches.
  5. Ils ne partagent pas une philosophie commune avec les autres. Au contraire, ils ont développé leur propre philosophie qui s’élargit, s’adapte et évolue constamment au fur et à mesure qu’ils absorbent de nouvelles connaissances et de nouvelles idées.

Comment avoir un dialogue éclectique en coaching

Sans qu’il en fasse une règle absolue pour pratiquer le coaching éclectique, Clutterbuck voit chaque conversation de coaching (ainsi qu’en supervision), divisée en quatre parties distinctes : la préparation, la compréhension, le solutionnement et le débreffage réflexif.

La préparation

L’étape de la préparation repose essentiellement sur la question : « Est-ce que nous sommes tous les deux prêts pour le coaching? » Les autres questions peuvent être :

  • Qu’est-ce qui aidera ce client à commencer la conversation en ayant le maximum d’ouverture pour un apprentissage créatif?
  • Comment puis-je m’assurer que je suis totalement attentif et réceptif dès le premier moment de notre rencontre?
  • Quelle réflexion le client a-t-il déjà faite à propos de sa situation?

S’il existe un grand nombre d’approches pour démarrer la relation, Clutterbuck estime que celle choisie  devrait surtout être instinctive en laissant l’espace créatif entre le client et le coach décider de ce qui est le plus approprié.

La compréhension

Cette étape de la conversation a pour but de développer une compréhension mutuelle et complète du sujet ou du problème en évitant de sauter au mode solution. Parfois, cette étape peut absorber toute une rencontre. Il faut résister à la tentation de combler son besoin de définir un but précis avec le client (ou pour le client).  À cette étape de la relation, une intention générale peut être suffisante, laissant la porte ouverte à la meilleure manière de travailler avec le client. Ce qui amène des questions comme :

  • Quel genre de coaching le client a-t-il besoin? (habiletés, performance, comportement, leadership, etc.)
  • Qu’est-ce le client connaît déjà à propos de ses perspectives, ses émotions, ses valeurs, etc., par rapport à la situation?
  • Qu’est-ce qui se passe vraiment entre nous?
  • Qu’est-ce que mon intuition me dit?
  • Quelle approche me semble la plus appropriée pour ce client?

Solutionnement

Pendant l’étape du solutionnement, si le coach aide le client à rétrécir ses perspectives et à creuser en profondeur, plus l’étape du solutionnement sera facile à réaliser.

Autant le coach que le client peuvent alors se demander :

  •  Qu’est-ce que notre compréhension de la situation nous dit par rapport aux sources possibles de solutions? 
  • Qu’est-ce que notre compréhension mutuelle des émotions et des valeurs du client nous dit à propos des critères qui vont aider le client à faire des choix avec lesquels il sera à l'aise tout en étant engagé? 

Clutterbuck suggère alors que le coach puise à même son coffre à outils pour aider le client à évaluer ses choix ou ses options.

Débreffage réflexif

L’étape finale survient autant durant l’entretien de coaching qu’après. Il est alors utile de posséder quelques approches ou méthodes en fonction des situations ou des clients. Par exemple, Clutterbuck suggère quatre thèmes qui peuvent être utiles à la réflexion lorsqu’on fait le débreffage de la rencontre :

  • Sujets/problèmes (quels sont les sujets que nous avons couverts aujourd’hui?)
  • Idées (de quelle créativité avons-nous fait preuve dans nos réflexions?)
  • Insights (qu’avons-nous appris?)
  • Intentions (qu’est-ce que nous allons faire à la lumière de nos discussions?)

Conclusion

Les multiples observations de coachs en action par Clutterbuck lui font dire que les très bons coachs semblent tous fascinés par le processus même de devenir un coach éclectique. Ils ne perdent jamais leur sens de l’émerveillement et d’excitation face à de nouvelles connaissances.

Il conclut en disant que l’approche de coaching éclectique gérée qui libère le coach est favorisée par les  éléments suivants :

  • Une grande exposition à différentes philosophies et perspectives de coaching ainsi qu’à des disciplines connexes (psychologie sociale, philosophie, management, sociologie, neurosciences, etc.);
  • Des essais fréquents de nouvelles idées dans notre pratique avec nos clients comme partenaires d’apprentissage et non comme des objets/sujets d’expérience;
  • Une réflexion individuelle et collective à propos de ces essais avec nos collègues et clients afin de réfléchir à la manière dont les outils fonctionnent;
  • L’entretien d’une honnêteté profonde par rapport à nos motivations comme coach autant pour apprendre continuellement qu’à propos des nouvelles zones de connaissances que nous explorons.

Comme nous pouvons le constater, devenir un coach libéré, demande un travail profond et de longue haleine sur soi. Toutefois, rien n’empêche tout coach en devenir de commencer à suivre le chemin de la libération plus tôt que tard. Si une approche de coaching peut être excellente pour des situations particulières ou des clients en particulier, il n’y en a aucune qui peut s’appliquer de manière constante. Seule une exploration universelle et approfondie d’un grand nombre de philosophies et de techniques de coaching peut mener à des interventions uniques et spécifiques pour des clients uniques.


 

  1. Clutterbuck, David (2010). Coaching reflection: the liberated coach. Coaching: An International Journal of Theory, Research and Practice, 3: 1, 73-81
  2. Les 11 compétences de coaching. http://icfquebec.org/img/client/page_web/pdf/11-competences-essentielles-de-coaching.pdf
Yvon Chouinard, ACC ACC, CRHA